« Si vous voulez apprendre une nouvelle langue, c’est le moment ou jamais. »
La voix de ma professeure sonnait comme une menace. Après notre cours de traduction anglaise hebdomadaire, j’étais venue lui faire part de mon désir de faire un Erasmus en Italie : un moyen en or d’acquérir une expérience à l’étranger, mais avant tout d’apprendre rapidement l’italien.
A 22 ans passés et plus de 17 à apprendre et parler l’anglais, je voulais élargir mes horizons (ou plutôt devais, étant donné que je me tournais alors vers le métier de traducteur). J’avais balayé d’un haussement d’épaule mes 9 ans de cours d’espagnol, préférant me focaliser sur la langue de Shakespeare, ce qui ne me laissait au final qu’une compréhension orale hésitante et une expression orale à faire pâlir Cervantès. Je m’étais donc tournée vers l’italien, espérant qu’une vie in situ me permettrait de palier à l’absence totale d’expérience scolaire de la langue.
Or, à deux mois de partir de mon confort francophone vers l’inconnu linguistique, je tombe sur une étude du chercheur en sciences du language Michel Daloisio (un Italien, rien que ça) :
De 0 à 3 ans, on serait capable d’acquérir une « prononciation parfaite et [développer] des habiletés linguistiques », capacité conservée jusqu’à 8 ans, mais avec plus d’effort. S’ensuivrait une période sensible jusqu’à 22 ans où « les fortes potentialités neurologiques […] permettent de développer une bonne compétence linguistique, mais il est de plus en plus difficile que cette compétence soit comparable à celle d’un natif. » (L’enseignement précoce des langues étrangères, Guerra Edizioni)
J’étais partagée entre le soulagement et la panique. D’un côté, j’étais arrivée pile à la limite d’âge pour apprendre « plus facilement » une langue ; de l’autre, qu’arrivait-il si je n’arrivais pas à apprendre l’italien ? Mes plans d’être multilingue étaient-ils perdus à jamais ?
Pas plus difficile, mais différent
Si les chercheurs cumulent les études sur l’importance d’un apprentissage précoce d’une seconde langue, un flou semble entourer l’apprentissage « tardif » de l’anglais.
Lorsque l’on entend parler de période critique ou de « cerveau-éponge », on pourrait être tenté de regretter nos tendres années d’innocence. Or certains chercheurs sont formels : il n’existe pas de rapport de valeur entre l’apprentissage précoce et celui tardif… Car ils ne sont pas comparables ! Les enfants n’apprennent pas de la même façon que les adultes, tout simplement parce que l’on parlera d’apprentissage « implicite » pour les enfants et « explicite » chez les adultes. L’un des premiers conseils que les experts en pédagogie des langues donnent aux parents est d’ailleurs de ne jamais appliquer les méthodes d’apprentissage utilisées sur les adultes sur les enfants : un enfant ne doit pas sentir qu’il apprend pour apprendre ; un adulte si.
Alex Hammond, du blog ESL, précise même : »apprendre une langue ne devient pas forcément plus difficile avec l’âge, cela devient simplement différent. »
Que les étudiants adultes (ou plus vraiment enfants) se rassurent : ils disposent d’outils et techniques auxquels les enfants n’ont pas encore accès.
- L’expérience
C’est grâce à l’expérience que notre cerveau réussit à faire des liens entre différentes choses ; ce qu’un enfant a beaucoup de difficultés à faire. Or, ces associations sont à la base de l’apprentissage linguistique. Les étudiants connaissant déjà une langue étrangère auront donc plus de facilités à en apprendre une nouvelle !
- Des avantages cognitifs
Le système cognitif d’un étudiant plus mûr est plus développé, car il s’est formé au cours d’années d’apprentissages. Il saura ce qui fonctionne pour lui (ou non), et pourra faire un tri sélectif et suggestif. Ainsi, certaines études ont prouvé que les étudiants « tardifs » avaient de meilleures notes aux test de vocabulaire que les étudiants « précoces ». On se connaît mieux, et ainsi on sait ce qui fonctionne pour soi !
- Des avantages contextuels
Les étudiants « tardifs », enfin, ont pour eux la conscience des théories et complexités d’une langue. Il aura plus de facilité à appréhender ses aspects discursifs et conceptuels, ce qu’un enfant ne pourra jamais réellement prendre en compte.
Une fois que l’on prend conscience de ces avantages, apprendre une langue semble moins compliqué qu’il n’y parait. Le blog NeuroPédagogie dira d’ailleurs : « A partir de 7 ans, on observe une diminution graduelle de la capacité d’apprentissage implicite au profit de la capacité d’apprentissage explicite. C’est alors que les cours de langue prennent tout leur sens. »
Toutefois, les chercheurs s’accordent à dire que la différence la plus criante entre l’apprentissage précoce et celui tardif est la performance linguistique. Plus tôt l’on apprend une langue, meilleur sera notre accent dans celle-ci. Si l’on parlera de manière plus naturelle, on aura peut-être pas forcément le vocabulaire ou le contexte culturel qui va avec ! Pour exemple, une amie norvégienne dont le beau-père est suédois m’a un jour confié : « Quand je suis en Suède, les gens pensent que je peux discuter librement parce que mon accent est parfait ; mais en vérité, je passe mon temps à oublier les mots ou la syntaxe ! »; en anglais, en revanche (une langue qu’elle a appris vers ses 16 ans), elle gardera toujours un accent scandinave sans jamais faire aucune faute de syntaxe.
Pas quand, mais comment
Enfin, les chercheurs s’accordent finalement tous à dire que si le facteur d’apprentissage précoce est l’amusement, celui de l’apprentissage tardif est la volonté.
Si la capacité de mémoriser du vocabulaire ou des règles grammaticales reste la même avec l’âge, c’est bel et bien la motivation qui change. Lorsque l’on vieillit – pour dire que l’on grandit, que l’on devient adulte -, notre capacité à hiérarchiser nos activités se fait bien plus forte, et plus les années passent, moins la motivation d’apprendre une langue étrangère peut diminuer.
D’où l’importance, tout d’abord, de donner beaucoup d’importance à l’apprentissage durant l’adolescence, surtout au collège et au lycée, où l’on a souvent tendance à se satisfaire d’un niveau moyen ; alors que l’élève est encore en capacité d’atteindre facilement un niveau élevé, voire très élevé !
Une fois la motivation trouvée, il faut aussi savoir mettre à parti les trois avantages cités plus haut. Pour cela, on devra s’adapter à ses besoins et attentes, savoir être flexible… Et croire en soi !
Vous l’aurez compris, apprendre une langue à plus de 23 ans n’est pas impossible ! C’est tout simplement un apprentissage différent. Alors ne perdez pas espoir… Et inscrivez-vous à un cours d’anglais !
Quant à moi, je vais peut-être me mettre au coréen…